Sitou Koudadjé est un artiste rappeur, membre du groupe Dangereux Dinosaures et membre du collectif R.A.O Staff. Il fait parti de cette diaspora africaine vivant en Europe qui cherche à « lier le bois au bois », si on veut prêter la formule du célèbre écrivain et cinéaste Sénégalais Sembène Ousmane. Les longues années de travail et de recherches artistiques qui ont jalonnées son parcourt ont finies par porté leur fruit. L’album 21 Grams est là et dénote d’un travail patient et méticuleux. Interview très « open » avec un poète noir.
A. Votre tout premier album vient de sortir. Vous avez choisi de l’intitulé « 21 grammes », pourquoi le choix de ce titre pour votre album ? Qu’est ce que cela signifie pour vous?
J’ai appelé cet album parce que cela représente l’essence-même de la démarche artistique parce que 21 grammes fait référence au poids de l’âme selon les scientifiques. C’est donc une expression de l’esprit de l’homme, or la démarche de l’artiste c’est une démarche d’esprit, c’est l’expression de mon âme et de mon esprit qui se reflète dans mon album, voilà pourquoi ce titre.
B. Parler nous de votre album. Que pourra t-on y trouver ?
C’est mon premier album en temps qu’artiste solo et le travail qui s’y retrouve s’est égrené sur un peu plus d’un an. Les morceaux sont déjà enregistrés, mixés et masteurisés. Actuellement le graphiste est en train de réaliser la pochette. Reste à trouver une boite de distribution et à faire la promotion de cette oeuvre.On pourra y trouver des titres souvent très introspectifs, où j’ai eut à cœur de soigner l’écriture, et d’aligner les mots de façon assez pointus. Après ce que j’écris c’est souvent parsemés de mes références cinématographiques ou littéraires. Il ne s’agit pas de mettre en avant ou en retrait ces références, mais ce sont des choses qui m’ont marqué personnellement, souvent des grands leaders des gens qui ont eu de grands destins et qui sont plus ou moins connus du plus grand nombre aujourd’hui. Après, il y a aussi bien sur des références à des amis, à des connaissances et à mes proches.
C. Pour le financement de votre premier album, vous aviez choisi de faire appel à la contribution volontaire des amis, sympathisants, amoureux du rap ou encore internautes. Pourquoi avez-vous choisi cette démarche ?
Parce que lorsque j’en ai entendu parlé, cela m’a beaucoup plu comme démarche. Elle permet de donner la chance aux gens qui aiment la musique que je fais de pouvoir s’associer au processus de fabrication.
Sans cette démarche vous n’auriez pas pu aller au bout de votre projet ?
Non il ne s’agit pas de cela, sans passer par ce site, j’aurais tout de même tout fait pour financer mon projet mais j’ai été séduit par la démarche plus que par l’opportunité de récolter des fonds. Ca rend vraiment le contributeur acteur du produit fini à venir. Cela fait aussi un peu de promotion et donc de bruit autour de la sortie de l’album grâce au relai sur les réseaux sociaux. D’ailleurs le nom du site, ulule.com, fait référence au cri de la chouette dans la nuit donc c’est un véritable vecteur de messages. C’est finalement un truc assez convivial parce que cela permet d’avoir un cd, un t-shirt, un geste de l’artiste qui redonne de l’amour à son public. D’habitude, le contributeur reçoit le produit fini alors que là, il lui est permis de se projeter avec l’artiste avant la matérialisation de l’œuvre. Sur la page dédiée à la création du projet – fr.ulule.com/sitou/, il y a des clips et je veux rajouter un son prochainement, probablement un son inédit d’ailleurs qui ne figurera pas sur mon 1er album.
D. D’où vient votre nom d’artiste Sitou Koudadje et que signifie t-il?
Sitou c’est mon 2e prénom tout simplement et Koudadje c’est le nom de famille de mon grand-père et mot pour mot cela signifie « la mort a menti », cela signifie que l’on survit à la mort quelque part ou qu’il y a quelque chose après cette dernière. J’y fais référence parce que les africains étaient monothéistes bien avant l’arrivée des premiers explorateurs et dans la culture togolaise on avait déjà cette conscience qu’il y avait autre chose après la mort et quelque chose d’unique et d’indivisible. Je trouve ça dommage de chercher un nom plus alambiqué, je trouve ça plus authentique et naturel, cela m’a paru naturel à un moment donné. Je fais du rap depuis 15 ans. Je crois que le déclic est venu lorsque j’étais au Bénin et je ne voulais plus prendre un nom pour prendre un nom, encore si c’est un surnom que des amis te donnent ok mais s’inventaient un nom de me parlait plus.
E. Vous êtes l’un des trois membres du groupe de rap « Dangereux Dinosaures » et aussi membre du collectif RAO Staff depuis plusieurs années maintenant. Travaillez de la même manière pour votre album solo que lors de vos morceaux en groupe ?
Non car seul je gère tout de A à Z alors que quand tu travailles en groupe tu ajoutes ta pâte mais tu n’es pas seul, ça facilite les choses mais la contrepartie c’est que quand tu es seul tu dois être bon du début jusqu’à la fin – tu n’as pas le choix – et sur toutes les parties de tous les morceaux ! Au niveau logistique et organisation, c’est plus simple d’être seul car quand tu es dispo tu y vas et tu fonces. Pour l’écriture, il n’y a pas le même souci d’être pointu, j’aime bien les deux c’est différent, j’aime l’émulation du groupe mais maintenant quand j’écris un morceau j’ai pris l’habitude de l’écrire et de le finir. C’est une évolution positive car on se prouve sa capacité de pouvoir se débrouiller seul de A à Z mais c’est aussi normal et rassurant de pouvoir traiter certains sujets seuls.
F. Au sein de ses deux entités, vous avez eu à réaliser de nombreuses scènes de rap, pouvez-vous nous parler de l’importance de la scène pour un rappeur ?
Pour tout musicien, la finalité de la musique c’est de la partager que se soit sur disque mais surtout en live. C’est une finalité évidente car tu vois comment le public vit ta musique, tu t’amuses, tu partages et voit les nombreuses réactions, et cela nourrit ta plume, tu écris différemment après la scène. C’est vrai que je garde les morceaux tel quel mais on constate tout de même le goût du public par rapport à tel ou tel morceau.
G. Personnellement, que tirez-vous de la scène en tant qu’artiste ?
C’est un moment où on prend du plaisir, cela nous permet de rencontrer des gens qui vont écouter nos chansons et de prendre conscience de l’impact de celles-ci… cela nous permet de rencontrer d’autres artistes et du métier, c’est toujours enrichissant. Pour tout être humain en général c’est bien de s’ouvrir à tous les horizons et pour un chanteur de rap, en particulier, car moi j’estime qu’un bon artiste c’est quelqu’un de curieux, parce que ça va forcement nourrir sa réflexion. L’artiste de toute façon c’est quelqu’un qui observe beaucoup et va s’intéresser à plein de choses différentes. C’est pas spécifique au rap ou à la musique, dans la vie c’est toujours un atout d’aller vers l’autre. Dans tous les milieux y’a des gens qui s’autoghétoise et ceux qui vont vers l’autre, pour leur plus grande richesse et plaisir d’ailleurs.
H.Pour vous, un rappeur c’est aussi un musicien alors ?
Oui complètement, parce qu’il fait aussi de la musique tout simplement, vous savez on est soumis à certaines règles mathématiques liée à la musique, mais moi je considère que le rappeur c’est un musicien, quant il doit composer avec un flot, une mélodie, et écrire en fonction…
H. Il n’est pas toujours évident de convaincre voire de séduire un public non averti lors des différents concerts, en général comment vous y prenez-vous ? (astuces ?)
Je ne cherche pas à plaire, je fais mon truc du mieux que je peux. Après je ne sais pas si c’est une question d’égo mais je pars du principe que les gens n’aiment pas trop ceci ou cela. Parce que je suis le premier à qui ça doit plaire du début à la fin, si ça doit plaire aux gens pas sur que ça continue à me plaire à moi.
I. Votre rap est vu comme engagé et militant, qu’en dites-vous ? Le décririez-vous de la sorte ?
Mon rap est sincère, le plus sincère possible, je ne sais pas ce que c’est l’engagement artistique, c’est une étiquette ! Personnellement, je ne me décris pas comme tel mais comme un artiste sincère. Je ne sais pas si je suis vraiment un artiste engagé, je laisse aux autres le soin de me classifier mais je suis très frileux avec cela, parce que beaucoup se disent engagés mais c’est juste un fond de commerce.
J. Pour vous, qu’est ce que le panafricanisme ? Es une solution importante pour un renouveau en Afrique ?
Je pense que ce sont des interrogations essentielles et que ce qu’ils font c’est super important parce que avant qu’un panafricanisme de fait se réalise il faut que culturellement et idéologiquement, le truc soit bien cimenté.
K. Vous êtes vous-mêmes originaire d’Afrique de l’Ouest, ne pensez-vous pas qu’une solution plus régionale est plus souhaitable et réalisable pour le bien-être de l’Afrique plutôt que d’envisager une unité de tout le continent africain ?
Non, ce n’est pas utopiste de voir grand mais si localement les gens ne sont pas solidaires, tu ne peux rien faire à plus grand échelle, cela serait un colosse aux pieds d’argile. Cela passe par des initiatives et des liens locaux forts et pérennes pour après développer quelque chose au niveau continental à une plus grande échelle. La finalité c’est le panafricanisme tout de même, tout les autres continents le fond pourquoi pas nous ?
L. D’où tirez-vous l’inspiration nécessaire pour l’écriture de vos morceaux ?
L’inspiration c’est un truc particulier (sourire) c’est une toute petite chose très précieuse et très rare ! Y’a des moments comme ça où ça vient, c’est des moments où je me pose un peu plus. Comme la photographie où tu captes un instant un moment, elle me vient de tout et de n’importe quoi. Il me vient de tout ce que je vois, ce que j’entends, de ce qui me fait kiffer ou me révolte. Et elle peut me venir à tout moment du jour ou de la nuit, peut-importe ce que je fais. Y’a des moments où ça vient même en dormant, cela m’est déjà arrivé plusieurs fois de réveiller pour ça, de noter puis de me rendormir. Parfois au boulot, je note ou j’appelle quelqu’un pour lui demander de me noter ces quelques phrases. Lorsque je ne peux vraiment pas noter, malheureusement je perds les phrases ou alors j’essaye de les répéter pour les retenir. Souvent comment ça marche : il y’a le titre qui me vient d’une part, des fois il y a les débuts qui viennent en même temps. Y’a les premières phrases qui me viennent au début… après la suite. En général, cela reste comme c’était mais ce n’est pas une règle absolue. La première phrase est une phrase d’accroche pour le début de la chanson, en général tu las gardes tel quel au début du morceau… mais cela peut aussi évoluer selon comment je ressens le son. Pour la suite c’est variable il y a des morceaux qui s’écrivent en un jour pour d’autres c’est plus ou moins long. Pour certains, j’ai jamais pu les terminer, le reste ne m’est jamais venu. Tu peux forcer et arriver à écrire un truc quand même mais ça sera pas bon si tu écris juste pour écrire. Tu peux aussi te forcer et chercher l’inspiration coute que coute, et là je le fais souvent en écoutant de la musique, et en tournant et en retournant les phrases dans ma tête et à haute voix. Mais ce n’est pas une science exacte, cela ne marche pas toujours. Heureusement d’ailleurs j’ai envie de dire, car tu as besoin de ces moments-là aussi, tu as besoin d’un temps d’accalmie pour te reposer, créer cela peut être fatiguant psychologiquement. La deadline pour le rendu d’un texte pour un duo ou autre pousse aussi beaucoup à l’inspiration car t’as plus le choix, t’es comme acculé.
Amazone
L’album 21Grams disponible sur itunes:
https://itunes.apple.com/fr/album/21-grams/id635869631
http://www.youtube.com/watch?v=Kz7XsmCbCas&feature=youtu.be