Il fait parti de ces rares artistes dans le milieu rap de son pays à rester constant dans sa démarche musicale. Unrap teinté de blues et des mélopées inspirées de l’Ouest Africain . Il revendique la force et le courage de ces grands hommes qui ont osé insuffler un nouveau espoir au peuple africain. Il est acteur et promoteur de divers événements culturels dans son pays le Togo : Principalement Arctivism et Cinereflex qui sont de véritables universités populaires . Indigo est son dernier projet, sorti en décembre 2015, disponible en Afrique et en France (Fnac). Dans cet entretien, il revient sur ce projet qui est déjà considéré comme l’un des classiques dans le milieu du Hip Hop militant en Afrique.
1 – Bonjour Elom 20ce, votre album Indigo est dans les bacs depuis décembre 2015 à la Fnac en France , et dans certains pays de l’Afrique de l’ouest dont le Sénégal, le Togo, le Burkina, entre autres. Ce qui impressionne d’entrée de jeu est la photo du cover. Racontez nous un peu l’histoire de cette photo?
C’est une photo de ma mère quand elle fêtaitses vingt ans. Je l’ai choisi en hommage à ma mère et toutes ces femmes africaines en général qui representent pour moi l’incarnation de la douleur dépasée. En même temps, c’est une photo où ma mère est souriante avec a une posture fière. C’est ça l’Afrique selon moi. Un continent qui a connu et connait encore des tragédies mais qui reste ferme et debout quoi qu’il arrive.
2 – Vous n’êtes pas seulement rappeur mais aussi un arctiviste (néologisme venant de la fusion des mots artiste et activiste) et un éducateur par excélence, Pour vous c’est important que la jeunesse d’Afrique puisse suffisamment s’approprier son histoire?
Un éducateur, c’est assez prétentieux. Disons que j’essaie de faire prendre conscience aux gens de certains enjeux. L’histoire est très importante dans la vie d’un peuple. Un Homme sans histoire est comme un arbre sans racines… Oui, il nous faut nous rapproprier notre histoire pour savoir d’où nous venons, afin de comprendre le présent et pouvoir se projeter .
3 – Rappez en Francais pour vous c’est en quelque sorte „utiliser une Kalash contre les Ruskov „. Expliquez nous un peu cette expression imagée.
Le Français est une langue qui nous a été imposée à l’école. On a été battu (sinon torturé) à l’école pour bien la manier. Ceux qui ont fait certaines écoles dans les années 80 à Lomé, connaissent le signal: cet os qu’on te met au cou quand tu t’exprimes dans ta langue maternelle à l’école. La dictée en français était un moment douloureux dans la mesure où il ne fallait pas faire de fautes grammaticales ou d’orthographe. Il y avait des profs qui vous donnaient le nombre de coups selon le nombre de fautes faites. Donc tu imagines, la tête des élèves les jours de dictée? La langue française est une arme qu’on nous a mise sur la tempe afin qu’on perde une partie de notre identité. Maintenant nous avons appris à la manier pour nous libérer du joug néocolonial. Tu imagines un Viêt-Cong qui ramasse un M16?
4 – Votre dernier clip Dead man Walking (Titre extrait de l’album Indigo) a été tourné à Rufisque au Sénégal. Pourquoi ce choix?
Rufisque parce que je voulais un cadre différent. J’étais à Dakar au Sénégal. Une amie tunisienne m’a parlé de l’architecture de cette ville. Je suis allé le matin, j’ai fait un répérage rapide, j’ai tourné le clip et je suis rentré le soir. Après, je pense que faire un clip à Rufisque c’est également une bonne connexion panafricaine entre artistes togolais et sénégalais . Il nous faut utiliser la culture, l’art pour créer des ponts.
5- Sur le disque il y a eu des collaborations comme Avénon , Prince Mo (Sôssignalé) , Le Bavar de La Rumeur (Comme un poisson dans l’eau) ; Amewu, Blitz the Ambassador (Aveugles, Bavards et Ssourds) , Koudadjé, Zalem (Fourmis) , Pépe Oléka, Oxmo Puccino (Je ne pleure pas ce sont les oignons) , Sir Okoss (Blues des Pharaons) , Kingsunjah LK (Afrika iz da prezent)., Comment s’est fait le choix des artistes sur ce projet et les difficultés rencontrées car tout ce beau monde ne vit pas en Afrique?
J’ai fait appel à des artistes que je respecte et que j’apprécie. Je peignais une toile et je voulais que chacun d’entre eux y laisse sa marque. Qu’elles/ils apportent leurs couleurs. Les difficultés étaient liées à la coordinationIl s’agissait de disponilité et de distance. Certains m’ont envoyé leur couplet, j’étais en studio avec d’autres.
6- Techniquement vous avez enregistré les morceaux au mythique studio Colibri, au Togo. D’abord pourquoi le choix de ce studio et comment a été l’ambiance du travail?
J’ai choisi ce studio pour la qualité du travail et de l’osmose qu’il y a avec l’ingénieur de son Rodrigue Ade aka Mr Magic,. Il a une fine oreille et de l’expérience. C’est lui qui a fait la plupart des prises de voix et les pré mixages.C’est important, un ingénieur son. C’est comme le coach. L’ambiance a été merveilleuse. On a pris du bon temps. Je suis à l’aise dans ce studio.
7 – Avez vous l’impression qu’aujourd’hui être un artiste de talent en Afrique ne suffit plus et qu’il faut soit même être son propre promoteur ?
Je pense que ce n’est pas propre à l’Afrique. C’est un problème qu’on trouve un peu partout. Pour le Togo où je vis, si tu veux faire la musique, tu ne peux pas que porter la casquette de l’artiste. On manque encore de structuration. En attendant, l’artiste est souvent son propre producteur, promoteur, etc.
8- Parallèlement la musique Hip Hop au Togo est en plein essor , mais les mécènes préfèrent investir dans le Trap (Style de musique Hip Hop inspiré de la Dirty South , apparu dans les années 2000 au Sud des Etats Unis). Sauf que vous Elom, vous avez un problème avec ce style de musique car bien que produit avec de grands moyens, les messages qu’il véhicule reste creuet des fois dénués de moralité. N’avez vous pas l’impression d’aller en contresens de la masse?
Je n’ai pas l’impression d’aller en contresens. Je fais une musique qui me ressemble. Je suis ma voie. J’aime quand la musique a une âme. Chacun est libre de faire le genre de musique qu’il veut. Si la musique que tu décries plait aux mécènes c’est bien ou bien? Rires.
9 – Vous faites constamment reférence aux champions de la révolution du peuple africain comme Steve Biko, Patrice Lumumba, Thomas Sankara, entres autres. Avez-vous l’impression aujourd’hui que nos élites politiques ont trahi la lutte ?
Si nous sommes d’accord que la lutte est relative au bien être des africains, bien sûr qu’ils ont trahi et trahissent encore . Ceux qui se sont battus pour l’indépendance de l’Afrique, pensait à l’unité africaine comme l’étape ultime de leur combat. Aujourd’hui, combien sont les élites politiques qui en parlent encore. Chacun veut être « chef de préfecture » et ils ont tous à la bouche les termes « émergence », « taux de croissance », etc. Les populations africaines ne sont pas heureuses en général. En cela les élites ont trahi.
10 – Ne plus se victimiser mais agir pour changer les mentalités sur le continent Africain. Est ce bien le message du titre « Don’t agonize , organize » sur ton album ?
On ne peut pas refuser à quelqu’un qui souffre d‘agoniser. Mais il serait intéressant que la personne qui agonise trouve la raison de sa souffrance et la traite. Ce titre est un échange avec l’histoire Amzat Boukari – Yabara. C’est un peu comme un lexique de l’album, mieux la racine de l’album. Une réponse au premier titre « Lamentations ». Ne vous lamentez pas ! Organisez-vous !
11 – Le morceau « Evangile selon les Indigènes » résonne comme une espèce de testament. Un témoignage dans lequel vous demandez à votre grand mère des conseils de vie. Parlez nous un peu de ce morceau.
Ce morceau est l’un des derniers écrits. Musicalement, il ressemble beaucoup à ce vers quoi je tends. Il a été enregistré totalement en live. Pour les conseils, ce n’est pas ma grand-mère mais ma mère..Dans le morceau, j’ai voulu faire un lien entre l’engagement politique et les réalités de la vie qui nous font prendre conscience. J’ai donc écrit le premier couplet avec un focus sur ma mère et le second est une lettre à mon défunt père. J’avais déjà enregistré ma mère sur différents sujets. Des choses que je réécoute souvent. J’ai trouvé que ce passage avait sa place sur ce morceau .
12 – Vous aviez eu l’occasion à plusieurs reprises, par des offres professionnelles de vivre en dehors de l’Afrique, mais pour vous c’est important de rester connecter au continent en jouant le rôle de l’intellectuel organique, constamment en contact et en discussion avec la masse. Quel message adresseras-tu aux Africains de la diaspora?
C’est un sujet sensible et complexe. Je pense que les enfants de l’Afrique ne peuvent pas la fuir constamment. A un moment, il nous faudra voir nos problèmes dans les yeux et les resoudre. Je suis conscient de la vie des africains de la diaspora qui n’est pas facile du tout. Où que tu sois, il faut œuvrer à la grandeur de l’Afrique. Car tant que l’Afrique sera piétinée, les Africains ne seront jamais traités dignement où qu’ils soient.
13 – Des tournées en perspectives?
Oui ! Des dates en Afrique et en Europe. Pour le moment on est encore à fond dans la promotion.
14 – Un dernier mot à l’endroit de nos lecteurs?
Aller choper l’album INDIGO. Afrika iz da prezent ! L’Afrique c’est maintenant
> ALBUM INDIGO : http://musique.fnac.com/a9214189/Elom-20ce-Indigo-CD-album#st=elom%20&ct=&t=p