Cham est un artiste tout à fait à l’aise avec son époque. Il manie avec dextérité la photographie numérique et le pinceau dans un style tout à fait personnel. Ses œuvres d’une originalité époustouflante démontrent d’un savoir faire unique. Le Fait d’avoir étudié les beaux arts dans l’une des plus prestigieuses école d’Europe ne le détourne pas de ses racines, au contraire, l’Afrique semble être constamment et honorablement représentée dans ses créations. Rencontre avec un plasticien qui « ose inventer l’avenir ».
Par Fo-mê Videha
Pouvez-vous nous retracer un peu votre parcourt artistique?
Diplômé de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, j’essaie de me construire une carrière respectable. L’histoire de l’art du 21è siècle est à écrire. L’Afrique doit y prendre sa place et y jouer un rôle plus important encore que le siècle dernier. Pour cela, les artistes sont appelés à se montrer innovants, autant au niveau du style, des médiums utilisées que dans l’audace des thématiques traitées. Je travaille à être l’un de ces artistes. C’est une ambition exigeante, qui demande un certain niveau de pratique et de connaissance. Je suis un artiste curieux des gens, des choses, de mon environnement, du monde, de notre époque et ses différentes réalités et mutations. Puisque le monde actuel semble se trouver dans ce qui a l’air d’être une transition (mais une transition compliquée et agitée), l’art d’aujourd’hui doit pouvoir refléter cette situation complexe, ambiguë, parfois violente. Les artistes doivent questionner sans relâche notre manière individuelle et collective de vivre notre époque et interroger le rôle de chacun et de tous dans l’avènement d’un monde sinon meilleur du moins différent. Mes œuvres se destinent de plus en plus à incarner cet engagement.
Entre photographie et arts plastiques, vous semblez évoluer avec aisance. Etes – vous en train de d’essayer de brouiller les pistes ?
La photographie d’art fait partie des arts plastiques depuis un long moment. L’artiste d’aujourd’hui dispose d’une série de médiums pour tester et trouver l’esthétique susceptible de porter son discours. En définitive, mon travail reflète notre époque. Il s’agit d’inventer un style qui assume la multidisciplinarité et l’interdisciplinarité propre au 21è siècle. Les nouvelles technologies tiennent une place importante dans les nouveaux laboratoires d’arts visuels. Je parle de ’’laboratoires ‘’ en faisant allusion aux expérimentations nouvelles, sans lesquelles l’art ne peut continuer à exister ni évoluer. Pour ce qu’il en est de ‘’brouiller les pistes’’, c’est un petit jeu intellectuel que je ne boude pas, au contraire.
Vous qui aviez résidé en France pendant un moment, dites nous si c’est souvent facile pour un artiste africain d’évoluer en Europe ?
J’ai résidé et étudié en France, précisément à Paris, pendant dix années. Un séjour très enrichissant dans l’une des plus grandes villes au monde. J’y ai étudié les Beaux-arts, dans l’une des écoles les plus anciennes et les plus réputées au monde. Parallèlement, j’ai également étudié les Sciences de l’Information et de la Communication. Mais je suis rentré à Lomé, donc au Togo, en 2005, où je vis et travaille depuis. Il n’est facile pour un artiste de vivre nulle part. A Paris comme à Lomé, toutes proportions bien gardées, l’artiste doit se battre plus que les autres, pour se faire comprendre, pour travailler dans de bonnes conditions, pour montrer son travail, en vivre et se faire une place. A Paris, l’art a une histoire, les artistes sont respectés une fois qu’ils sont connus. A Lomé, les élites, universitaires, hommes d’affaires et classes moyennes ont des centres d’intérêt qui n’ont rien à voir avec l’art. C’est d’ailleurs curieux. Chez nous, c’est encore à l’artiste de jouer le rôle d’entrepreneur culturel, c’est-à-dire d’attirer l’attention, pas seulement sur son propre travail, mais sur l’art en général. C’est fatiguant et usant. La surdité en face est affligeante. Avez-vous déjà entendu un seul homme politique togolais tenir un discours pertinent sur la culture ou sur la visibilité des artistes togolais dans le monde ?
N’avez-vous pas justement peur que le fait d’avoir étudié en Europe « occidentalise » un peu votre façon de voir le monde ?
La façon de voir le monde dépend, bien sûr, de l’endroit où l’on vit. Quelquefois, je regrette d’être rentré au Togo pour y vivre. Lomé est un tel désert intellectuel qu’il me prend souvent l’envie de partir vivre à Cotonou, à Accra ou à Ouaga. Il y a une telle paresse intellectuelle dans notre pays, et à toutes les échelles, à l’Université comme dans la politique. Par conséquent, la façon de vivre le monde depuis Lomé est extrêmement pauvre, réduite à sa portion la plus primitive, uniquement liée aux besoins les plus élémentaires. A écouter les Togolais, on a l’impression que le monde est partagé entre deux camps qui s’affrontent : le bien et le mal. Personne n’ose imaginer que les choses soient plus complexes, moins évidentes. Depuis Lomé cependant, je regarde le monde qui m’entoure, et le monde au-delà, avec une très grande humilité, beaucoup de réserves, très peu de jugement. J’essaie surtout de me comprendre moi-même, d’identifier mes besoins réels, de construire des envies et des désirs qui ne nuisent à personne, mais qui sont susceptibles de construire quelque chose de durable. Je chercher à contribuer avec mes œuvres à la construction d’un rêve togolais et d’une identité bien à nous. Ma façon de voir le monde se construit tous les jours, et je suis ouvert au monde.
En janvier 2007, les togolais ont eu l’immense plaisir de vous découvrir au CCF de Lomé à travers le lancement de l’émission Afrik’Art consacré à l’art et à la culture en Afrique, produit par canal + horizons. Pensez-vous personnellement que cet évènement a été une consécration pour vous du fait de vos longues années de travail et de recherche ?
C’est vrai que cette émission a révélé à mes compatriotes, surtout ceux de Lomé, du moins à certains d’entre eux, qui ont eu l’occasion de la regarder, qu’il existe un Togolais pour lequel la création artistique s’appuie sur les nouvelles technologies. Le Centre Culturel Français de Lomé a permis cela. Ce d’ailleurs à l’occasion de ma toute première exposition au Togo. Je les en remercie. Ce que cette émission a permis, ce n’est pas la consécration. Mais une sorte d’ouverture sur une nouvelle possibilité. A l’époque, le CCF de Lomé bougeait pas mal. Cette institution destinée à promouvoir la culture française à l’extérieur de la France, jouait à Lomé pour les artistes togolais, le rôle que l’Etat togolais est censé joué mais que l’Etat togolais ne joue pas. A l’heure d’aujourd’hui, l’Institut français (nouvelle appellation du CCF), a recadré son rôle et réduit son budget. Du coup, il ne se passe plus grand-chose à Lomé, du point de vue de la promotion et de la visibilité locale des artistes. Le Goethe Institut, option offerte par les Allemands aux artistes togolais, s’évertue à renforcer sa place et rôle à Lomé. Mais jusqu’à quand et jusqu’où ? Le gouvernement de notre pays a le devoir de se tourner enfin vers les artistes. Si des émissions de télé, de radio, ou des articles de presse peuvent servir à cela, on aura gagné un pas énorme en avant.
Avez-vous souvent l’opportunité d’entreprendre et de développer des projets avec des artistes Togolais ?
Depuis mon retour au pays en 2005, j’essaie de travailler avec les jeunes, pour échanger et partager. Mais les jeunes sont pressés. Ils veulent gagner de l’argent, acheter de grosses voitures et mener des vies de luxe. Comment le leur reprocher ? Quand on sait que les jeunes, espoirs pour l’avenir, veulent simplement ressembler à ce qu’ils voient devant eux tous les jours, à travers les exemples que nos élites leur donnent. Depuis mon retour, je me suis approché de certains collègues de mon âge, en espérant collaborer avec eux, pour apporter quelque chose à notre pays. J’ai alors découvert un univers décourageant, où les artistes se font du mal. Ils se battent entre eux pour des questions d’ego et de petits sous. Ils mentent les uns sur les autres. Certains se prennent pour des roitelets, alors qu’ils n’ont jamais exposé nulle part que dans deux ou trois centres culturels. C’est un milieu malsain et malhonnête. Mais je me dis que c’est à l’image du pays. Alors, les projets avec ce genre de personnes, je les refuse désormais. Je limite mes contacts avec les artistes à Lomé au strict minimum qualitatif. Ceci dit, mon intérêt pour la jeunesse est toujours aussi grand : « le véritable échec, c’est quand on arrête d’essayer ».
Quels sont vos projets à long terme ou à court terme ?
Actuellement, je suis en atelier. Ce qui veut dire que je suis en pleine création. Bientôt, je commencerai à montrer mes nouvelles œuvres, à Lomé et ailleurs, ainsi que j’aime à procéder. Je vous inviterai. Vous me direz ce que vous en pensez. J’espère qu’alors, vous partagerez vos critiques avec vos lecteurs.
Une conclusion ?
Je n’aime pas trop les conclusions. Cela veut dire qu’on ferme quelque chose. Mais si je dois forcément conclure, ce sera pour dire qu’ici au Togo, les talents fleurissent et se flétrissent à force d’être négligés. Il est donc temps que l’Etat, le gouvernement, les ministres, nos institutions, les entreprises, les partenaires, les organisations-non gouvernementales, tous ces acteurs qui œuvrent pour le développement, arrêtent de mépriser les artistes et la culture, âme et miroir de nos sociétés. Nous avons besoin d’un ministre de la culture capable d’expliquer cela à ses supérieurs et capable d’exiger des moyens pour rendre visibles de façon durable nos artistes et notre culture.
Retrouver Cham sur le lien:
http://www.facebook.com/cham.artiste
Que du bon Cham…
Courage à toi…
Fo-mê