Interview avec le réalisateur de la série Africapolis Jérémie Lenoir, qui s’apprête à tourner le troisième volet du documentaire sur le Rap Militant Guinéen ‘Foniké’.
Par Fo-Mê Videha
1. Votre tout dernier film « Foniké en guise de manifeste », tourné en 2008, en Guinée Conakry est un magnifique hommage au peuple Guinée où nous avions eu le plaisir de découvrir une autre facette de la société guinéenne peinte par les rappeurs engagés comme Abraham Makolé, le groupe Kassangué, Bougari, Fatou Sagnane et autres, qui ont repris avec beaucoup d’énergie quelques lignes de l’œuvre littéraire « En guise de Manifeste » d’Aimé Césaire. Pourquoi avoir décidé de retourner de nouveau à Conakry ?
D’abord merci de vous intéresser à ce projet. J’ai connu Conakry il y a dix ans, c’était mon premier voyage en Afrique. Une découverte qui coïncidait avec certains évènements très personnels et qui s’est inscrite, durablement, dans ma façon de voir et comprendre le monde. En gros, mon rapport d’occidental à l’Afrique s’est écrit là-bas ; en Guinée se trouvent les racines d’une partie de ma conscience. Un truc très personnel donc (un mélange d’économique, de politique et de métaphysique).
J’y retourne (en tout cas j’essaye) pour ne pas assécher ces racines. J’ai toujours considéré Foniké comme un projet à pérenniser. Pas un film unique mais un projet extensible spatialement et temporellement. Foniké désigne un ensemble de personnes (une catégorie sociale diraient d’autres). La jeunesse urbaine ou rurale de Guinée. Comme elle, le projet évolue, et m’inspire régulièrement de nouvelles déclinaisons.
Si j’en avais les moyens j’irais chaque année y tourner un film (j’ai assez d’idées pour tenir une décennie, dans un premier temps ; et toujours l’envie de comprendre plus).
Il me semble qu’il n’ya que de cette façon que le projet pourrait signifier quelque chose. Pour l’instant ce n’est rien, juste un petit feu que j’essaie tant bien que mal, avec quelques soutiens extérieurs et épisodiques, de maintenir en vie (car je n’ai pas les moyens de prendre l’avion quand je veux).
2. Actuellement les guinéens s’apprêtent à aller au deuxième tour des élections Présidentielles et choisir entre Salou Diallo et Alpha Condé. Quel regard portez-vous sur ces élections et pensez-vous qu’après, le président élu réussira à redresser le pays ?
En général je ne m’occupe pas de la politique interne en Guinée. Je ne possède pas, loin de là, les connaissances nécessaires. J’essaie de comprendre ce qui se publie sur internet, je prends des nouvelles des gens que je connais là-bas.
Comme tout le monde j’ai été content de voir la situation politique guinéenne évoluer. Et j’espère que le totalitarisme et la corruption perdront du terrain. Cela dit je ne me fais pas d’illusions, on ne défait pas des mécanismes puissants du jour au lendemain. Je ne crois pas aux révolutions. Je vois les histoires politiques comme des fictions grossières, écrites au mépris des douleurs qu’elles peuvent engendrer.
C’est un avis très personnel.
3. L’année 2010 est marquée par les festivités des cinquantenaires d’indépendance de la plupart des pays Africains, qui ont d’ailleurs vu leurs troupes militaires défilés le 14 juillet passé sur les champs Elysées (excepté côte d’ivoire), suivant l’initiative personnelle du Président Sarkozy. Avez-vous l’impression qu’en 50 ans la politique françafrique à changé ?
Elle a forcément changé. De part et d’autre. Peut-être même s’est elle renforcée en se complexifiant. Ca doit dépendre des pays concernés aussi. Mais je n’en sais pas plus que ça.
Personnellement, j’ai lu les bouquins de Verschave il y a pas mal d’années, ils ont été décisifs dans ma démarche, comme un tremplin, un truc concret sur quoi on peut s’appuyer.
Ca ne va pas plus loin. Dans mon travail, j’essaye de ne pas focaliser sur cet aspect (français) des choses, j’ai l’impression que c’est une voie sans issue. Une thématique dans laquelle on peut se complaire ou fantasmer, et s’enfermer encore. Un narcissisme finalement. Il faut vachement aimer la France pour croire qu’elle peut être mieux que les autres. Ce n’est pas mon cas.
Je m’intéresse plus à montrer ce que peut produire un système dictatorial et corrompu sur les gens, sur leur vie. Je pense même que ça peut avoir des résonances dans les pays riches, où les gens vivent d’autres formes de corruption et de totalitarisme (beaucoup plus complexes à décrire).
Enfin j’essaie surtout de montrer le formidable écart qu’il y a entre les conditions de vie dans les pays pauvres et les notres. En même temps que la formidable ressemblance de nos émotions.
4. Quelle sera la particularité de ce troisième volet Foniké ? Les Rappeurs guinéens de la diaspora, en France y seront associés ?
Je préfère garder la surprise. Le but est toujours de représenter « Foniké ».
5. Vous avez beaucoup tourné en Afrique, notamment en Guinée, au Togo, au Sénégal et aussi chez vous en France, toujours avec un minimum de budget et sans Production. Est-ce pour vous un moyen de rester assez indépendant ?
C’est une part importante de Foniké, l’indépendance. C’est un projet qui contient ses propres lignes directrices (en termes éthiques, économiques, esthétiques etc…). Essayer de les changer c’est risquer de tuer l’esprit du truc.
Donc c’est assez compliqué.
J’aimerais évidemment être soutenu par un producteur, je l’attends.
Mais Foniké repose sur des idées pirates, de l’improvisation, une certaine croyance, l’envie de ruer dans les brancards. Son mode de production fait partie du discours qu’il véhicule.
C’est fatiguant et ça ralentit l’affaire mais ça génère une vraie satisfaction lorsque le film est fini.
Un jour ça pourrait évoluer mais pour l’instant c’est comme ça que je le sens.
6. Etes-vous perçu en France comme un artiste qui veut attirer l’attention sur une situation précise à travers vos œuvres, ou comme un agitateur ?
Si tant est que je sois perçu… Je ne sais pas. Il doit y avoir de tout. On me reproche souvent, implicitement, de parler du côté obscur des choses. De la mort prématurée. J’espère que je dérange les français. Tout comme j’ai été dérangé en découvrant l’Afrique. Samuel Fuller disait qu’il rêvait de placer des mitraillettes, braquées sur les spectateurs, derrière les écrans qui diffusaient ses films de guerre. Je comprends ça.
J’espère aussi réveiller les gens. C’est pour ça que ça gueule dans mes films.
Il y a aussi des gens qui comprennent bien le propos et qui m’encouragent (en diffusant).
7. On sent que de plus en plus, vos films évolués en termes de qualité d’image, de sonorité, et en graphisme. On doit cela à quoi ?
L’expérience. Faire c’est apprendre. Et l’objectif que je me fixe, c’est de toujours progresser. J’apprends aussi à parler, à dire en film ce que je ne sais pas dire en mots. J’ai vu récemment « La vie sur terre », un film qui dit beaucoup de choses que je veux dire aussi. Et j’ai réalisé que j’avais encore beaucoup à apprendre.
8. Quel est votre mot de fin ?
Merci pour vos questions. Je dois quand même dire que vu son mode de production, ce projet de Foniké 3 n’est pas forcé d’aboutir. En tout cas pas obligatoirement dans le délai que nous nous sommes donnés. Cette fois-ci un mécène finance le tournage. Si il lâche, il n’y a pas de projet.
Appel a mécènes/plans B ou producteurs pirates/princes charmants….. Ce projet coûte 3500 euros (à débattre).