L’explosion du numérique au Burundi est à l’origine de la multiplication des studios d’enregistrements, des producteurs et surtout des artistes. Ainsi avec peu de moyens il est possible de produire de chansons de qualité en si peu de temps. Les ordinateurs et les synthés ont vite fait de remplacer les vrais instruments et si les capacités vocales de l’artiste ne sont pas à la hauteur pas de problèmes, en une petite touche, l’ordinateur (grâce à l’Auto-tune machine) chante presque à votre place bien que le succès ne sera pas pour lui mais pour l’artiste en question (ou pour l’artiste du moment). Bref le numérique a introduit des grands changements au sein de la musique moderne burundaise. Nombreux étaient des talentueux artistes cachés qui ont pu émerger facilement grâce au numérique. Personne ne pourrait maudire la technologie dans ce domaine, bien qu’elle n’a pas amenée que du bon.
En effet enregistrer une chanson est devenu tellement facile que tout le monde chante malheureusement même ceux qui n’en ont pas les talents et les qualités. Le parcours d’une chanson qui autrefois se terminait en studio pour enregistrement comme couronnement d’un long travail et processus de créativité aujourd’hui (des fois) commence au studio. Les artistes, les chansons, les albums poussent comme des champignons et tous les yeux sont tellement fixés sur ces artistes dits de nouvelle génération qu’il arrive d’oublier des grands artistes burundais qui ont dominé et influencé toute une époque. Parmi ces artistes il y a Evode Ntahonankwa le tireur des hits. Très connu et très en vogue au milieu des années 90, Evode Ntahonankwa était l’un des rares artistes de l’époque qui sont parvenus à produire leur musique dans l’unique studio analogique du pays. A l’époque pour enregistrer un morceau, il fallait tous les instrumentistes pour une pleine séance studio enregistré presque en directe. Plus qu’un chanteur-compositeur Evode était plutôt un poète qui manipule si bien la langue de ses ancêtres le Kirundi mais aussi la langue de Molière. Au moment où les Forces Armées Burundaises, le corps dont il faisait partie ne jouissait pas de bonne renommée par tous les burundais, lui il était irrésistible. Comme l’indique son nom (Ntahonankwa qui signifie « on ne me déteste nulle part ) il était et il est toujours aimé partout. Tellement des hits il a tiré que nombreux burundais en redemandent encore. Hélas après un certain moment les mélomanes burundais ont perdu ses traces. Finalement nous l’avons retrouvé aux Pays-Bas.
Adolphe B.: Bonjour. Qui est Evode Ntahonankwa? Présentez vous aux lecteurs de Afrique.fr
Evode Ntahonankwa.: Je m’appelle Evode Ntahonankwa. Je suis né au Burundi en 1970 le 09 novembre. Je suis marié avec Christine. Actuellement nous habitons aux Pays-Bas là où sont nés nos deux enfants: notre fils « Hugue » et sa petite sœur « Fien ». Je suis un humble musicien chanteur compositeur. Je joue de la guitare, le piano électronique, la clarinette si bémol, le saxophone alto et un peu d’ harmonica.
Adolphe B.: Depuis quand avez compris que votre destin vous aurait poussé à devenir chanteur?
Evode Ntahonankwa.: J’ai commencé la musique depuis mon jeune âge. A partir de 6 ans je m’amusais déjà à chanter. C’est par la solitude que je parvenais à capter un maximum d’inspiration. J’étais très content d’entendre mon écho du fond de la vallée. Parfois ma maman me surprenait, et me prenait pour un enfant pas comme les autres, des fois elle laissait même échapper une légère exclamation de surprise mais pas de mépris car elle aimait beaucoup son dernier né que je suis. Mon regard se reposait timidement sur sa physionomie souriante. J’aime dire qu’au début ce n’était que pour tromper la solitude d’un enfant unique que je chantais, bien que j’ai un frère et deux sœurs. Fin de fin le chant est devenu une véritable passion puisqu’aujourd’hui je suis capable de suivre mon inspiration comme je la sens et je sais que ça doit être une chance unique. J’aimerais continuer ainsi le plus longtemps possible.
Adolphe B.: Quel a été votre parcours artistique dés vos débuts jusqu’aujourd’hui? Est-ce que vous chantez toujours?
Evode Ntahonankwa.: Bien sûre que je chante encore. En kirundi on dit: «uta umwuga ukaba utaye abana»,qui signifie abandonner son métier c’est comme abandonner ses propres enfants, et ça ne se fait pas.
Mon parcours artistique n’a pas été facile du tout. Comme beaucoup d’autres, j’ai croisé quelques tempêtes internes et externes, heureusement que je suis quelqu’un qui s’adapte très vite aux circonstances, et qui a appris à accepter de la vie ce qu’elle lui offre pourvu qu’un jour le but final soit atteint. Je prends les choses de manière à pouvoir positiver ce genre de souffrances ou d’accident de parcours. Après le lycée pédagogique de Nyakabiga « Scheppers » chez les frères de la miséricorde, j’ai réalisé que la musique que j’y ai apprise (solfèges) ne suffisait pas pour pouvoir atteindre mon rêve: devenir chanteur. L’école de musique n’existant pas même aujourd’hui au Burundi, sauf au grand séminaire de Bujumbura, et à l’armée « Fanfare militaire » et comme je n’avais pas une vocation d’être séminariste, j’ai décidé de passer l’examen pour entrer à l’école des sous officiers pour qu’a la fin de cette école je sois muté à la fanfare. Comme ça j’aurais la chance d’approfondir la musique et apprendre quelques instruments à souffle. J’y ai passé mes deux années de souffrance. L’ année suivante a été la plus douloureuse car obligatoirement on devait finaliser la formation par des exercices pour se doter d’un brevet d’un parachutiste commando. Grâce à mon courage mais aussi au fait de croire que l’on ne peux forcer le destin que par la persévérance, je suis parvenu à passer mon brevet. Et à la fin mon rêve se réalisa le 8 octobre1993 le jour de l’exécution de ma mutation pour la fanfare militaire. En dehors du service je travaillais ma musique personelle. Le manque de confort matériel n’arrangeait pas les chose à l’époque mais quand même l’album « Mireille » a été enregistré, apprécié et m’a fait connaitre du grand public bien qu’il était enregistré dans un petit studio analogique à 4 pistes d’ Africa Nova le pianiste ancien chef d’orchestre de la RTNB » Amabano ».
Adolphe B.: Quoi que vous soyez loin de votre pays le Burundi, surement vous suivez artistiquement ce qui s’y passe. Que pensez vous de la scène actuelle burundaise?
Evode Ntanonankwa.: Je pense que la musique burundaise n’est plus embryonnaire comme à l’époque par rapport à celle d’autres pays. A l’époque Il y’ avait de problèmes du manque de moyens matériels et aussi du public qui s’intéressait très peu à mon avis à la musique du pays. Même maintenant les concerts ne sont pas des bains de foule. Mais je dois souligner que la musique burundaise moderne doit éviter de commettre l’ erreur d’ imiter les musiques d’ailleurs sans guide méthodologique. Selon notre tradition et notre langue, le message ne se lance pas n’importe comment.
Les problèmes persistent encore car au Burundi il n’y pas d’école de musique. Il n’existe pas de droit d’auteur pour permettre aux artistes de vivre de ce métier, ce qui ne motive pas la perfection. Il n’y a pas une association des artistes musiciens bien appliquée, en mésure de censurer et imposer une méthodologie à suivre au niveau des compositions.
Adolphe B.: Vous avez publié plusieurs chansons qui sont devenues des hits, mais si je ne me trompe pas vous n’avez publié aucun album. Pourquoi? A quand un album signé Evode Ntahonankwa?
Evode Ntahonankwa.: ça c’est vrai mais c’était par manque de moyens financiers et de producteur. Mais ça a duré le temps que ça a duré. Maintenant je veux bientôt redémarrer après mes études que je suis sur le point de terminer cette année. Je profite de cette occasion pour lancer un appel à quiconque serait intéressé à participer, qu’il se mette en contact avec moi. Je dispose deux albums en coulisse, les remix et les nouveautés en deux langues: kirundi profond et en français.
« Mu kibira ca Nyungwe » l’un des hits d’ Evode Ntahonankwa:
Mu kibira ca Nyungwe par Evode
Adolphe B.: Nombreux ignorent que à cote de votre carrière d’artiste vous étiez (ou vous êtes encore je ne sais pas) aussi militaire de profession. Est-ce que les deux métiers étaient (ou sont) compatibles? Que préfériez vous entre tirer les balles et tirer les hits?!!!
Evode Ntahonankwa.: Avant la crise de 1993 le service militaire et la carrière musicale étaient compatibles car le pays était en paix, par après la crise a fait changer les choses. Au moment où je chantais pour celui-ci, je devais être « forcément » ennemi de celui-là. A un certain moment il m’a été attribué une mauvaise connotation que je ne méritais pas puisqu’il ne me correspondait pas, alors j’ai déserté pour ne tirer qu’avec ma guitare (et ma voix) seulement et j’en remercie le bon Dieu.
Adolphe B.: Si la personne que vous chantiez dans votre hit «Mireille» s’appelait Jeanne, pourquoi l’appeliez vous «Mireille»? Je me suis toujours posé cette question.
Evode Ntahonankwa.: Mes œuvres ne sont pas autobiographiques mais elles partent de ma propre vie, de mes rapports avec les autres..etc. Je n’ai jamais chanté des histoires irréelles. Effectivement elle s’appelait Jeanne et nous avons été sur le même banc de l’école pendant trois années successives:6eme, 5eme et 4eme moderne.
Mireille par Evode Ntahonankwa:
Mireille par Evode Ntahonankwa
Adolphe B.: L’histoire du morceau «Mireille» est une histoire d’amour réelle alors. Et fin de fin «Mireille» est venue vous voir (puisque vous chantiez «…viens me voir Mireille, Mireille, Mireille…»)?
Evode Ntahonankwa.:Au fait tout prend origine d’une pièce de théâtre «La condition masculine» à la quelle nous (moi et Jeanne) avions assisté ensemble au Lycée Clarté Notre Dame de Vugizo. L’un des rôles de la pièce était une princesse du nom «Mireille» que je surnomma Jeanne au retour à l’école. Après une orientation scolaire différente nous avons été séparé et chacun est parti dans une autre école sans nous dire au revoir. Ce n’est qu’après avoir reçu une lettre de sa part dans la quelle il y avais sa photo que je composa la chanson «Mireille» pour lui répondre et tout le monde se rappelle de son contenu.
Adolphe B.: Quelle belle histoire! Depuis votre départ du pays nombreux burundais ont perdu vos traces. A quand le retour sur scène au Burundi? Que dire aux funs burundais qui vous réclament?
Evode Ntahonankwa.: Je ne peux rien confirmer pour le moment, pas cette année de toutes les façons car en octobre j’ai un concert dans un théâtre ici dans ma ville que je dois préparer soigneusement. En ce qui concerne mes funs je sens toujours que j’ai une dette envers mon public qui m’aime bien. Heureusement qu’aujourd’hui vous m’avez permis de pouvoir leur faire signe de vie et leur faire savoir que je ne suis pas mort comme la rumeur a un jour circulé à Bujumbura, et que je poursuis toujours ma carrière musicale.
« Ntahirize ab’iwacu » par Evode Ntahonankwa:
Adolphe B.: Nombreux artistes burundais quittent le pays pour l’étranger, est ce un passage obligatoire pour vous autres artistes? Quel est le bilan de votre carrière artistique aux Pays-Bas?
Evode Ntahonankwa.: Je dirais positif. Ici je ne fais pas beaucoup de miracles mais quand même je parviens à montrer à la face du monde ce dont je suis capable.
En 2007 j’ai fait deux concerts télévisés en live à Amsterdam et ça été un très grand succès. En 2009 j’ai gagné un 3eme prix au concours de la chanson organisé par l’alliance Française des Pays-Bas. Ce qui m’a permis d’avoir le droit de participer en France à un grand festival: les «Francofolies de la Rochelle». Et cette année au mois d’octobre comme je vous l’ai déjà dit, ça sera chaud. Du reste je compose de petites chansons pour les cadeaux d’ anniversaires, de souhaits ou de mariage que j’enregistre dans mon petit home studio et les néerlandais sont intéressés il me semble.
Adolphe B.: Quels sont vos projets pour l’avenir?
Evode Ntahonankwa.: Mes projets? Continuer à chanter et à écrire jusqu’à la dernière goutte de mon encre. Produire des albums pour ne jamais décevoir mon public au niveau de ma composition et de mon style. Faire passer un message de demande d’aide pour les enfants en difficultés surtout, de mon pays le Burundi, je suis persuadé qu’avec la musique le message passe mieux. En plus en collaboration avec les autres j’ai toujours rêvé de créer une école de musique pour les enfants burundais de demain. Je garde espoir qu’un jour ça sera possible.
Adolphe B.: Un dernier mot avant de nous quitter. Que dire à la nouvelle génération d’artistes burundais qui fatiguent tant à chanter en bon kirundi comme le votre et surtout à assumer leurs noms propres burundais?
Evode Ntahonankwa.: A la nouvelle génération burundaise, je dirais qu’il faut que nous sachions que si le monde tourne mal en ce moment c’est à nous de corriger ce qui ne va pas pour rendre le monde meilleur. Gardons notre authenticité. Prenez l’exemple du chanteur sénégalais, Youssou N’Dour n’est-il pas célèbre? N’est-il pas aimé? Avec son propre nom et son originalité? Je crois qu’il faut toujours éviter le superflus et être soit même.
Adolphe B.: Merci pour l’entretien et continuez à répresenter le Burundi.
Evode Ntahonankwa.: C’est moi qui vous remercie.
Propos recueillis par BIREHANISENGE Adolphe.
Evode Ntahonankwa c’est aussi sur:
Je ne peux rien dire que de vous remercier.
Vous etes unique.Merci, merci,que Dieu vous benisse.
Evode
Naranezerew mbonye cette vidéo en 2009 kuri Renaissance Télé niho namenye ko akibaho kandi ko akiririmba!! Evode courage!! Mireille ndacayibuka kandi inyibutsa nkiri muto rwose!!