Les traditions musicales burundaises présentent une série d’ instruments plutôt réservés aux hommes, en solo ou en duo pour accompagner le chant. Sauf dans le cas particulier des tambourinaires, il n’y a pas de formation en orchestre. Bien que le tambour («ingoma» en Kirundi) constitue jusqu’aujourd’hui le passeport de la culture burundaise dans le monde, vu que c’est l’instrument roi du Burundi («Ingoma» signifie à la fois tambour et royaume), il existe aussi d’autres instruments anciens qui composent le tableau de sonorités et rythmes burundais. Parmi ces instruments traditionnels il y a l’ «indonongo» ou « indingiti ».
L’ « indonongo » est une variante plutôt rare qu’on trouve surtout dans le sud et le long du lac. C’est le violon burundais. L’ « indonongo » ou « indingiti » appartenant à la catégorie des vielles est composé d’une seule corde, d’une caisse de résonance fabriqué en corne de vache et couverte au sommet d’un morceau de peau de vache tendu. Il se joue la caisse de résonance serrée contre le ventre ou la clavicule, en utilisant l’archet en forme d’arc, composé d’une corde en fibres végétales tendue sur un rameau fin et fléchi. On utilise la main droite pour manier l’arc. Les rengaines sont lancinantes entrecoupées de refrains chantés qui parlent de la vie quotidienne dans les collines et parfois d’événements politiques.
« Ndingiti » par Eliane Becks Nininahazwe:
Selon la tradition burundaise, celui qui joue de l’ « indonongo » est en même temps le chanteur et il joue le plus souvent en solo. Nous avons rencontré Eliane Becks Nininahazwe, l’une des rares femmes burundaises qui jouent cet instrument extraordinaire.
Adolphe B. : Qui est Eliane Becks Nininahazwe? Présentez vous aux lecteurs de www.afrique.fr
Eliane Becks Nininahazwe: Je suis une femme burundaise et néerlandaise, je suis artiste compositrice, chanteuse et joueuse de l’ ”indonongo”. Vu l’importance et le rôle de la vache dans la tradition burundaise, moi-même, je m’identifie à une vache. Une vache symbolise la femme et la femme est symbolisée par la vache. À son tour la vache dont les cornes sont utilisées pour fabriquer l’instrument «indonongo». Donc tout y est dans la vache. C’est pour cela que la vache est le symbole de tout l’ «Indonongo», et c’est la raison pour la quelle j’adopte la vache comme mon symbole personnel, puisque moi femme et l’ «indonongo» nous faisons un, comme la vache et l’ «indonongo» font un.
Adolphe B. : Pourquoi l’ «indonongo» et non pas la guitare plus facile à trouver au Burundi? Où avez vous appris à jouer l’ «indonongo»?
Eliane Becks Nininahazwe: L’ « indonongo » est le microphone, l’amplificateur de mon cœur. Il y a la voix provenant de la femme et de l’ « indonongo » qui sont toutes les deux (la voix et la femme) mystérieuses. L’ « Ingonongo » fait sortir tout ce qui vit, qui anime mon cœur. Je l’ai choisi parce qu’il me plait et m’aide beaucoup à me détendre et entretenir mon entourage. J’ai appris à jouer l’ «indonongo» il y a longtemps. Quand je travaillais au Musée Vivant de Bujumbura il y avait un homme qui vendait les «indonongo» dans des boutiques d’objets d’arts. Je lui avais demandé de m’enseigner à jouer l’ «indonongo» et il a accepté de me donner des leçons après j’ai commencé à m’exercer en jouant dans des petites fêtes, les anniversaires, présentations des mémoires, mariages….. C’était une expérience extraordinaire.
Adolphe B. : Est -ce facile de s’en procurer aux Pays-Bas où vous vivez en ce moment? Comment vous arrangez-vous pour trouver les pièces de rechanges quand c’est nécessaire?
Eliane Becks Nininahazwe: Chaque fois que je visite mon pays le Burundi, je profite de l’occasion pour ramener quelques «indonongo» avec moi. Je suis aussi en contact permanent avec la diaspora burundaise, qui m’aide quelques fois à l’approvisionnement de ces instruments ainsi que de pièces de rechange quand c’est nécessaire.
Adolphe B. : Les femmes joueuses d’ «indonongo» ou femmes joueuses d’un instrument de musique tout court sont très rares au Burundi. Pourquoi selon vous? Est ce le poids d’une tradition ou une culture qui privilégie les hommes ou il y a une autre explication? Qu’en pensez vous?
Eliane Becks Nininahazwe: Le fait que je sois parvenu à dominer en jouant de l’ «indonongo», ça démontre qu’il n y a pas de division de sexe. Les femmes aussi bien que les hommes peuvent jouer de l’ «indonongo». Je veux dire que les femmes ont aussi des talents tout comme les hommes. Regardez ces jours-ci il y a le football féminin.et nous en sommes fiers. Il y a beaucoup d’autres choses qui autrefois étaient destinées aux hommes mais que actuellement les femmes peuvent aussi faire pour mieux avancer notre pays. S’il y a la volonté de faire quelque chose de bon, il ne faut pas craindre de le faire car nous sommes tous nés égaux.
Je reconnais quand même que la musique burundaise a donné beaucoup plus de privilèges aux hommes qu’aux femmes et en plus comme il n’y a pas d’école de musique traditionnelle au Burundi, on doit toujours se débrouiller pour apprendre à jouer un instrument quelconque, ainsi les femmes ont peu d’opportunités pour apprendre à jouer un instrument. Mais je suis confidente que ça va bientôt changer
Adolphe B. : Comment définirez vous votre musique? Quels sont les thèmes abordés dans votre musique?
Eliane Becks Nininahazwe: De par son origine, ma musique est traditionnelle. Mais souvent je la mélange avec la poésie, le reggae et R&B. Je chante en Kirundi mais quelque fois ici en Europe selon l’audience je mélange les langues comme l’anglais, le néerlandais et le français. Les thèmes abordés sont la vie sociale au Burundi, l’amour de la patrie, l’émancipation féminine, l’amour de mon instrument «indonongo» ainsi que la poésie pastorale.
Durant mes spectacles «live» je fais beaucoup d’improvisations suivant le thème du jour, l’ambiance et l’énergie que je reçois du public. Ce sont des moments qui m’inspirent le plus.
« Ramba » par Eliane Becks Nininahazwe:
Adolphe B. : Combien d’albums (ou de chansons) à votre actif? A quand le prochain album?
Eliane Becks Nininahazwe: Jusqu’à présent j’ai produit deux albums. L’un est nommé «RAMBA». Le deuxième album s’appelle tout simplement «INDONONGO». Ce qui est important pour moi ce n’est pas de produire beaucoup d’albums pour le moment. J’aimerais d’abord faire écouter et découvrir au maximum de personnes la beauté et bonté de l’ «Indonongo». Je reste des fois surprise de la réaction quand certaines personnes me disent « une femme avec de l’ «indonongo»? C’est de la folie » Je voudrais ouvrir leurs yeux en démontrant combien mes chansons sont aussi belles comme tant d’autres et «peut être meilleures que les autres»!
Pour le moment je suis très occupée par beaucoup d’autres activités, car un spectacle avec «Indonongo» demande beaucoup d’efforts et de préparation. On ne fait pas seulement la musique, mais il y a aussi la danse, la poésie, la comédie, mes ateliers de danse, etc. Donc quand il faut présenter un spectacle au public, on doit faire la combinaison de plusieurs différents catégories de scènes. Et ça me prend tout le temps nécessaire aussi pour produire et finir le prochain album.
Adolphe B. : Votre musique passe sur RFI mais j’ai comme une impression que votre musique est peu radiodiffusée au Burundi. Est ce vrai? Si oui pourquoi?
Eliane Becks Nininahazwe: Ma musique est plus connue par la diaspora que par les burundais qui sont au pays. Cela s’explique par le fait que à peine j’ai commencé à jouer l’instrument «indonongo», j’ai dû quitter le Burundi. Après j’ai vécu dans différents pays où j’étais en contact avec la diaspora burundaise. J’utilisais mon instrument pendant l’animation dans les différentes fêtes organisées par les ambassades ou les autres associations burundaises de l’extérieur du pays. Jusqu’à maintenant je conserve cette image. Même ici en Europe je travaille souvent avec plusieurs associations burundaises et d’autres communautés. Si RFI joue ma musique c’est qu’elle est très intéressante et particulière, je crois. Les autres radios locales n’ont peut être pas encore découvert le mystère qui se cache derrière l’ «Indonongo» et la femme burundaise!. C’est une occasion unique à ne pas rater, mais j’ai quand même fait quelques émissions en direct avec «radio culture» et «radio Isanganiro» en 2007 lors de la sortie de mon deuxième album. Malheureusement, après je suis partie aux Pays-Bas pour rejoindre ma famille. Alors, c’était difficile de suivre le développement positif de ma musique au pays. Mais maintenant je suis de retour, j’ai beaucoup d’inspiration et de nouveaux matériaux en préparation.
« Nataliya » par Eliane Becks Nininahazwe:
Adolphe B. : Enseignez vous à vos enfants à jouer l’ «indonongo»? Que faites vous pour la conservation ou la diffusion de cet art si rare?
Eliane Becks Nininahazwe: Merci Adolphe pour cette question. Mes enfants sont encore très jeunes. Ma fille ainée qui a 9 ans est déjà en train d’apprendre à jouer de l’ « indonongo ». Mes deux fils de 4 et 2 ans s’amusent beaucoup avec l’ «indonongo», mais quand même je peux voir qu’ils sont très intéressés d’apprendre. Mes enfants chantent déjà mes chansons en Kirundi, ils. Je leur explique l’origine de l’ «indonongo», la nuance entre moi en tant que la femme, les valeurs de la vache et la femme dans la tradition burundaise, et je chante dans notre langue kirundi ce qui fait que notre pays le Burundi est représenté partout où je vais. Donc partout où je vais il y a moi la femme artiste burundaise, la vache du Burundi, l’ « indonongo » produit par les cornes de la vache et joué par cette mystérieuse femme née à Gihanga, province de Bubanza.
Adolphe B. : Que dites vous aux femmes burundaises qui voudraient emboiter vos pas comme joueuses d’ «indonongo» ou comme artiste tout court?
Eliane Becks Nininahazwe: Étant femme burundaise et néerlandaise je serai ravie d’accueillir d’autres femmes qui voudront bien me rejoindre. Je les invite avec tout mon cœur. « La volonté est une hache qui passe partout ». Quand on a la volonté de faire quelque chose de bon, quoi que ça soit, il est possible de le faire. «Indonongo» est prêt d’accueillir toute femme de partout dans ce monde qui veut jouer ce bel ‘instrument burundais, chanter ou danser… Soyez les bienvenues mes chères sœurs je vous encourage très profondément. Quand il y a opportunité, prenez -la. »CARPE DIEM! »
Adolphe B. : Merci pour l’entretien et bon courage dans cette bonne initiative de conservation et promotion de la culture Burundaise.
Eliane Becks Nininahazwe: Merci à vous aussi Adolphe et à tous les lecteurs de www.afrique.fr. Je vous souhaite prospérité dans vos foyers. Continuez à gouter la voix de l’ «Indonongo»
Propos recueillis par BIREHANISENGE Adolphe.
Pour en savoir plus visitez prochainement: www.indonongo.nl