
Na wewe. Un film d’ Ivan Goldschmidt. D’après une idée originale de Jean-Luc Pening, (une coproduction Cut! sprl, A Private View, RTBF et Menya Média).
La réalisation et la production d’un film au Burundi est un fait plutôt rare, et si le film en question se trouve sur la liste des films en nomination pour les Oscars 2011 il s’agit d’une première dans l’histoire de ce pays. C’est un événement unique en son genre dont il faut se réjouir. Dire que Jean Luc Pening l’inspirateur du court métrage «NA WEWE» avait vu juste, semblerait être un humour de mauvais goût pour certains, puisque Jean Luc Pening est aveugle, et pourtant le parcours victorieux de « NA WEWE » (qui signifie toi aussi en français), confirme la bonne intuition de cet ingénieur agronome belge établi au Burundi en 1992.
En effet depuis la sortie et la première de “NA WEWE” faite à Bujumbura le 1er avril 2010 en présence des plus hautes autorités burundaises, ce court métrage de 18 minutes n’a pas cessé de monter d’échelon en terme d’appréciation et de récompenses.
Ainsi le film a déjà obtenu « le Grand Prix du Court métrage » au Festival de Tübingen en Allemagne, le« 2eme Prix » – Confrontations – au Festival Interfilm de Berlin, le « Prix du Public » au Festival de Bruxelles. Belgique, le« Prix des auteurs » au Festival du film Indépendant de Bruxelles, le « Prix de la presse » au Festival Media 10/10 Belgique, le « Prix B-TV au Festival Media 10/10 Belgique, le « Prix Ciné-courts » au festival « Le Court en Dit Long » à Paris. France, « Mention d’Honneur» au Flickerfest – Australie, « THESS » Classé parmi les 10 meilleurs court-métrages de l’année (Thessalonique), Grèce. Bref «NA WEWE» a participé et va participer à de nombreux festivals au Canada, au Cambodge, à Jérusalem, au Kenya …et pour compléter son ascension voilà que le film vient d’être nominé aux Oscars du meilleur court-métrage pour décrocher la si précieuse statuette.
«NA WEWE» raconte l’histoire d’un bus qui se fait arrêter par la rébellion au plus chaud de la guerre civile d’après1993 entre les rebelles principalement hutu et l’armée nationale de l’époque principalement tutsi. A travers ce scenario maintes fois et réellement répété sur cette route de Buhonga non loin de la capitale Bujumbura pendant cette période, le court métrage affronte un thème important mais d’une manière légère, presque ironique démontrant l’absurdité des divisions et discriminations longtemps considérées erronément come étant ethniques.
«NA WEWE» est le fruit d’un conte, de l’inspiration d’une mémoire, de l’expérience et surtout du courage de Jean-Luc Pening ce belge qui a tellement aimé et vécu les beautés du Burundi qu’il y a perdu la vue dans des circonstances occasionnées par une guerre aveugle dont il dénonce l’absurdité dans ce film. Malgré cela, Jean-Luc ne parle pas de lui-même, mais plutôt des milliers de victimes burundais partis en silence, des 26 personnages du film recrutés sur place qui ont vécu de près cette guerre absurde, mais surtout de tous ceux qui sont victimes de conflits ayant comme seul argumentation l’appartenance ethnique qui n’avance à rien. Partant d’une épisode éloigné et oublié au cœur de l’Afrique, «NA WEWE» est entrain de devenir un film de référence qui parle au monde entier et ce n’est pas un hasard si la télévision belge (RTBF) a décidé de le transmettre ce 2 mars 2011, après un documentaire réalisé sur le tournage du film. Un fait plutôt exceptionnel qu’une télévision fasse un documentaire sur un film et sa genèse.
Qui aurait cru qu’un jour un aveugle nous aurait fait voir un si beau film que lui-même n’aura l’occasion de voir? En attendant impatiemment la fatidique proclamation, «the winner is…» lors de la cérémonie de remise des Oscars prévue le 27 février 2011, nous avons rencontré Jean Luc Pening l’auteur et co-scénariste (avec Ivan Goldschmit ) de «NA WEWE».

Jean-Luc Pening auteur et co-scénariste de Na wewe sur le plateau. Photo: © Philippe Vandendriessche.
Adolphe B.: Tout d’abord. Merci de nous avoir accordé cet entretien. Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès? Quel est votre sentiment maintenant que « NA WEWE» a été nominé pour l’Oscar du meilleur court-métrage et qu’il pourrait être le favori ?
Jean-Luc Pening: Quand j’ai écrit ce scénario en 2007, je ne m’attendais à rien, c’était juste pour montrer que notre ONG Menya Media, spécialisée dans la communication, avait du potentiel. C’est peut-être cela le secret de la réussite: s’attendre à rien et continuer son chemin en prenant chaque étape, chaque pas, pour un cadeau, pour une merveille de la vie. J’aime que le scénario de base était le gâteau et que tout ce qui est venu après sont autant de cerises venues sur le gâteau. C’est du plaisir pur. L’Oscar serait une cerise en plus, il y en a eu tant d’autres. Ce qui me touche très fort c’est l’impact positif que tout cela a eu et a encore sur tous les participants à cette superbe aventure humaine.
Ce qui me fait aussi fort plaisir c’est de voir que le message de tolérance porté par le film passe bien partout dans le monde. C’est gai, c’est encourageant.
Adolphe B.: Pourquoi le titre «NA WEWE»? Pourquoi un titre en kirundi alors que le film est en français?
Jean-Luc Pening: Parce que le film devait avoir une identité burundaise, parce que toi aussi, qui que tu sois, tu es différent des autres et donc que, toi aussi, tu peux faire l’objet de discrimination. Et puis NA WEWE se dit «You too» en anglais (qui sonne comme « U2 » et « hutu) »).
Adolphe B.: «NA WEWE» affronte légèrement, et avec humour l’histoire du conflit hutu-tutsi. Est ce qu’il n’y pas risque de banaliser (surtout pour ceux qui apprennent pour la première fois) l’histoire récente du Burundi? Ne croyez vous pas que le conflit ait été beaucoup plus profond (ici je fais allusion aux enjeux politiques et économique qui selon moi ont toujours été à l’origine de l’exclusion d’un ethnie plutôt que de l’autre) qu’une simple division ethnique ou distinctions morphologique?
Jean-Luc Pening: Nous parlons ici d’un court métrage de fiction. Un film qui raconte cinq minutes de la vie de gens, du peuple, c’est tout. Ce n’est certainement pas un documentaire exhaustif et historique sur la situation d’un pays. Le film n’explique rien, il dénonce, c’est déjà pas mal. S’ il peut amener les spectateurs à se poser des questions, à chercher à comprendre, c’est déjà une réussite. L’humour est là pour aider à dépasser les émotions de tristesse, d’horreur. Tant qu’on est dans les pleurs il est difficile de passer à la réflexion. L’humour aide à dépasser les émotions négatives et à s’ouvrir à la réflexion, à la prise de recul et ainsi de se poser les questions de fond comme «que peut-on faire pour que ça n’arrive plus jamais?».
Adolphe B.: Pourquoi avez-vous choisi cet épisode qui incrimine la rébellion principalement hutu au lieu d’un épisode qui incrimine les ex Forces Armées Burundaises principalement tutsi (dont vous avez subi les horreurs sur votre peau d’ailleurs)? Pourquoi n’avez vous pas raconté les deux dans le même film ? Ne craignez vous pas d’être mal compris par certains comme n’ayant pas été impartial? Le film ne risque pas ainsi de fausser les faits en racontant juste une partie?
Jean-Luc Pening: Comme déjà annoncé, ce film ne prétend pas tout dire, tout expliquer. J’ai raconté ce qui s’est le plus souvent passé. Il n’y a pas de parti pris. Dans le film je crois avoir montré des hommes et des femmes avec leurs forces et leurs faiblesses. Ce sont des hutus qui attaquent, ce sont des hutus qui sauvent un tutsi, ce sont des hommes et des femmes coincés devant l’horreur. Je me voyais mal écrire mon histoire, j’ai écrit celle d’une population qui a souffert pendant des années.
Adolphe B.:Pourquoi n’avez-vous pas raconté dans ce film les tristes circonstances dans les quelles vous avez perdu la vue? Les responsables ont-ils été traduit en justice?
Jean-Luc Pening: Je ne voulais surtout pas parler de moi. Ce n’est pas mon sujet préféré. J’ai parlé d’un fait de guerre qui a touché la population et qui, malheureusement, a été courant, banal. Non il n’y a pas eu de justice pour moi, ni pour des milliers d’autres. Quand on m’a tiré dessus le Burundi était en pleine logique de guerre et il en sort tout doucement. Comment demander justice dans ce chaos? Même la Belgique n’a rien pu faire, bien au contraire. Je ne me voyais pas me battre devant ce vide. Maintenant je crois avoir dépassé tout cela. Je demanderai peut-être justice, si elle revient, pour montrer quand même à mes enfants, qu’il y a des valeurs et qu’on ne tire pas sur quelqu’un comme ça, pour rien. Mais le principe même de toute guerre n’est-il pas de tirer sur les autres pour rien? Il y en a même qui reçoivent des médailles pour cela.

Isabelle Christiaens et Jean-Luc Pening au tournage de NA WEWE (août 2009). Photo: © Philippe Vandendriessche.
Adolphe B.:Vous qui connaissez si bien le Burundi, sa beauté, ses richesses, pourquoi avez vous choisi de raconter la période la plus sombre de son histoire? Ne trouvez pas si triste et désolant que le Burundi ne soit connu à l’extérieur qu’à travers le conflit hutu-tutsi alors qu’il dispose d’une autre face positive mais méconnue par le monde?
Jean-Luc Pening: Je crois au contraire que le film porte une image très positive: celle d’un pays qui est prêt à accueillir une équipe de cinéastes internationaux sur le lieu même des massacres, une image de burundais qui sont prêts à parler de leurs différences, de leurs conflits et ainsi à les dépasser, une image d’un Burundi qui laisse libre court à la liberté d’expression, l’image d’un pays qui affronte ses démons et enfin l’image d’un pays bourré de talents. Les échanges vécus sur le plateau entre des tutsis, un ganwa, des anciens rebelles, un twa, ont été d’une telle richesse qu’on ne peut qu’en sortir confiant. J’aurais tant aimé que les gens qui ont créé cette guerre et ces différences les voient tous danser et chanter ensemble.
Adolphe B.: Bien que ce court métrage en dise long, n’aurait il pas été mieux de produire un long métrage pour mieux retracer en long et en large l’histoire récente du Burundi?
Jean-Luc Pening: Comme je l’ai déjà dit, ce n’était pas le but. Beaucoup de gens disent que le film est trop court. Je préfère cela plutôt que de les entendre dire que le film est trop long. D’ailleurs je crois avoir tout dit dans ce film en 18 minutes. Tout dit. Un professionnel du cinéma a dit à Ivan, le réalisateur: «tu as fait un long métrage de 18 minutes» quel beau compliment. Et puis je ne prétends pas du tout connaître le Burundi, au plus j’essaie de comprendre les tenants et aboutissants de cette guerre, au moins je comprends. Il y a les luttes de pouvoir, les liens familiaux, les intérêts financiers, les liens régionaux, les intérêts étrangers… On est très très loin d’un quelconque clivage hutu-tutsi. Trop compliqué pour moi.

Ivan Goldschmidt réalisateur et producteur de Na wewe sur le plateau avec les acteurs. Photo Julien Pening.
Adolphe B.: Il ya une explosion de production de court-métrages et film documentaires ces derniers temps au Burundi («Histoire d’une haine manquée», «Burundi 1850-1962», « En attendant le retour des éléphants »,…) tandis que l’on ne vente qu’un seul long métrage jusqu’aujourd’hui (« Gito l’ingrat»). Qu’est ce qui manque et comment y remédier pour afin faire décoller le Cinéma burundais?
Jean-Luc Pening: Il ne faut pas oublier que le Burundi vient de vivre 13 ans de guerre civile (et d’ailleurs, cette guerre est-elle vraiment finie?). Cela signifie que le pays est resté tout ce temps sans éducation et fermé au reste du monde.
Le Burundi a un fameux retard à rattraper. Entre-temps le numérique a explosé, ce numérique qui permet, avec très peu de matériel, de réaliser des films de très haute qualité. Le Burundi doit aussi apprendre maintenant qu’il a un potentiel, qu’il a des choses à raconter au monde. « NA WEWE » a ainsi déjà ouvert des portes, il a donné confiance à pas mal de burundais. Aux créateurs burundais de créer et d’oser se montrer. Il y a aussi évidemment un manque criant de formation. Avec « NA WEWE » nous avons intégré un maximum de techniciens à l’équipe. Leur formation faisait aussi partie intégrante du projet. Il y a un potentiel. Les acteurs aussi ont été extraordinaires. Quelle force. Ils mériteraient un Oscar à eux seuls.
Adolphe B.: «NA WEWE» est il déjà en distribution? Est il possible de s’en procurer (surtout au Burundi)?
Jean-Luc Pening: La vie d’un court métrage est très difficile. Le faire coûte cher et sa diffusion ne rapporte rien. La vie d’un court ce sont les festivals et rien d’autre. Et tous ces festivals ont des exigences incroyables. Par exemple pour participer à Cannes il faut avoir moins de 15 minutes. Une des exigences principales est que le film n’ait pas été diffusé avant le festival. C’est pour cela que nous avons du limiter fortement toute distribution et diffusion; une fois les Oscars passés, bien sûr que le film et les différents documentaires qui s’y rattachent seront disponibles sur DVD partout. Nous avons promis une copie à tous les participants burundais, nous allons respecter notre promesse.
Evidemment le fait d’accéder aux oscars fait que le film sera plus largement diffusé, notamment par les télévisions du monde. Le film participe déjà à des festivals partout sur la planète, il y a énormément de demandes de diffusions dans les écoles, il y a des demandes d’organisation de débats … Et surtout il y a un projet de faire un doublage en kirundi et de montrer le film partout dans le Burundi pour organiser des débats pacifiques sur l’appartenance ethnique. Une pierre à la réconciliation et à la paix? Nous cherchons encore des fonds pour ce projet ambitieux qui a le plein soutien du ministre de la culture burundais.
Adolphe B.: Vu le succès de «NA WEWE» j’ose espérer qu’il ne soit pas votre dernier projet en matière cinéma. Quelle sera la prochaine étape?
Jean-Luc Pening: Je ne sais pas du tout. Comme je l’ai déjà dit «NA WEWE» est un «accident» de parcours. J’oriente ma carrière vers le coaching, vers le développement de « Menya Media » et de nos projets de développement. Vais-je me lancer vers l’écriture? Bien sûr que cette expérience m’a donné des idées mais de là à devenir un professionnel du cinéma, il y a un pas énorme à franchir. Disons que je garde cela comme un hobby.
Par contre pour Ivan et tous les professionnels qui ont réalisé ce projet, l’aventure «NA WEWE», va ouvrir plein de portes et j’en suis très heureux.
Sur les 15 techniciens burundais qui ont participé au tournage et qui ont reçu une formation d’Ivan, deux sont partis suivre des formations professionnelles à l’étranger (Maroc et Belgique), deux ont déjà réalisé leur propre court-métrage, un a réalisé son premier documentaire qui est sélectionné au festival international Fespaco, deux ont écrit un scénario de long-métrage et sont en train de travailler dessus avec des conseillers étrangers … C’est déjà pas mal.
Adolphe B.: Quelles leçons à tirer de «NA WEWE» pour votre propre pays la Belgique?
Jean-Luc Pening: Le film dénonce l’absurdité des luttes ethniques et communautaires. De ce point de vue la Belgique n’a aucune leçon à donner au Burundi. Au contraire, il faudrait peut-être montrer le film à nos politiciens belges. Ce qui est extraordinaire c’est que ce message de paix a été très bien reçu et compris partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Que demander de plus?
Adolphe B.: Effectivement rien. Message bien reçu. Encore merci pour l’entretien et bonne chance pour l’Oscar.
Jean-Luc Pening: Merci à vous et à tous ceux qui ont cru et participé à cette superbe aventure humaine. Il n’y a pas que les Oscars, il y a toute la richesse humaine que cette aventure m’a apporté. Merci Ivan Goldschmidt, merci à tous.
Propos recueillis par BIREHANISENGE Adolphe
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