Déjà à sa toute première édition l’East African Music Award fait couler beaucoup d’encre et parler beaucoup de mélomanes. Organisé par Golden Dream Co Ltd, l’East African Music Award touche l’entière région Est africaine: le Burundi, le Rwanda, le Kenya, la RDC, le Sud Soudan, la Tanzanie, l’Ouganda et l’Ethiopie. Nombreux sont les artistes (plus de 3000) qui auraient aimé y participer mais très peu ont eu la chance d’arriver en finale qui se tiendra ce 20 Août à Nairobi. Du coté burundais seuls 6 artistes (à savoir Kidum, Cédric Bangy, Emelance Emy Niwizere, Francis Muhire Alfred & Bernard, Uwizeye Willy) ont pu percer jusqu’en finale. Choisis par un jury des professionnels du métier, cette sélection a fait discuter plusieurs mélomanes burundais qui s’attendaient à l’habituel défilé des chanteurs-rappeurs hip hop locales aux textes parfois douteux et aux arrangements électroniques communs si communs qu’on les trouve partout dans n’importe quel pays. Tous les chanteurs de chez nous choisis ont en commun le fait de chanter avec leurs propres voix sans aucune aide électronique (auto tune, vocoder,..). Et si le jury de l’East African Music Award ait voulu nous faire un clin d’œil pour que nos artistes comprennent que s’ils veulent aller plus loin ils doivent creuser beaucoup plus dans le champ de l’originalité et identité nationale? Et si les chansons privilégiées par nos radios en ce moment ne valaient pas beaucoup?
En attendant la fatidique proclamation “..the winner is…”, tout en espérant que le gagnant soit burundais, nous avons rencontré Francis Muhire l’un des nominés aux East African Music Awards.
Adolphe B.: Quel est votre sentiment après avoir été choisi parmi des milliers d’artistes Est-africain? Vous vous y attendiez?
Francis Muhire: Franchement je ne m’y attendais pas du tout. Ca faisait même un bail que je ne donnais plus mes chansons dans les radios locales. Mais pour “Mawe ndagiye”, c’est lorsque le producteur m’a parlé de la possibilité de l’inscrire dans une telle compétition que je me suis dit qu’il fallait peut être que je tante ma chance. Si non, j’avais déjà eu beaucoup de critiques positives à l’endroit de ce morceau, que son choix par le jury de l’East African Music Awards n’a fait que consolider les avis de ce qui l’avait déjà entendue en premier. Donc mon sentiment ne peut être que celui de joie, de me dire qu’en fin, ma musique est tombée dans les oreilles de ceux qui la comprennent vraiment.
Adolphe B.: Tout d’abord comment avez vous su de l’organisation de l’East Africa Music Award pour y participer? J’ai su qu’il y a des artistes burundais (comme Steven Sogo) qui ne l’ont pas su et que par conséquent ils n’ont pas pu participer.
Francis Muhire: Moi je l’ai su par le propriétaire du studio où j’ai enregistré la chanson. En fait, il parait que les organisateurs de l’East African Music Awards se sont adressés aux producteurs et non aux artistes directement. C’était donc aux producteurs de contacter les artistes qu’ils avaient déjà produit pour les faire inscrire. C’était aussi le producteur qui présentait le dossier d’inscription. C’est dans ce sens alors que j’ai appris l’existence de l’East African Music Awards.
Adolphe B.: Le jury vous a t il dit pourquoi vous avez été choisi?
Francis Muhire: Pas vraiment. Même le juge burundais ne pouvait pas m’en dire grand chose vue qu’au moment de coter les chansons burundaise, il devait être requis, selon ce que j’ai entendu. Mais en visitant le site de l’East African Music Awards tout juste après que j’ai appris ma nomination, j’y ai trouvé quelques critères de sélection. Il y avait entre autre l’arrangement musicale, les sonorités utilisées, la voix, et autres.
Adolphe B.: Pourquoi selon vous les grands noms de l’actuelle scène burundaise sont ils absents (à part Kidum et Cédric Bangy) du choix de ce jury? Que dites vous à ceux qui n’ont pas compris ce choix?
Francis Muhire: C’est vraiment dommage qu’ils n’y figurent pas. Mais personnellement parlant, j’ai toujours fait de la musique en tenant compte de ce que moi je voulais et aimais comme musique, sans toutefois me soucier de ce que le public semblait vouloir me faire jouer ou tout simplement les boites de nuit. C’est ainsi que je me suis musicalement développé et forgé. Mais aussi, pour être en compétition avec, voir en complémentarité avec les autres style de musique, il faut développer son propre style, portant les couleurs de chez soi.
Moi je suis un grand amateur du hip hop, du R n’B, du Soul, du Blues et du Jazz. Mais si je devais jouer un de ce genre de musique, il me faudrait trouver une façon de l’habiller à la manière burundaise. Imagine par exemple un bit hip hop que tu peux faire sur un fond d’ «Ikembe» ou d’ «inanga» en y intégrant une bonne boite à rythme et de bons instruments joués à la main, et le tout enregistré numériquement par un ordinateur? Un tel morceau cartonnerait sans doute. J’estime donc que tout est sujet de recherche, d’innovation, de mélanger, de créativité et non de copier coller les styles américains et autres.
Une dernière chose, dans la musique actuellement, il faut choisir ce qu’on veut vraiment jouer et devenir. Si vous voulez conquérir le public burundais par une musique aux couleurs étrangères, c’est possible, il faut tout simplement y travailler. Si vous voulez conquérir le monde entier par une musique aux couleurs burundaises, c’est aussi possible, et il faut tout simplement y travailler dur. C’est donc à nous les artistes de choisir le sens de notre orientation artistique. Si non, dans un domaine comme la musique où la notion de chance est si prépondérante, où la réussite est parfois très soumise à la chance qu’au talent, on ne peut que nous en remettre chacun à son étoile. A mon humble avis, il est à présent temps de nous poser tous une question: faut-il que nous soyons des stars ou de bons artistes? Si les artistes burundais peuvent avenir à combiner les deux, ce sera le summum de la musique burundaise.
Adolphe B.: La chanson avec la quelle vous participez à l’East African Music Awards n’est pas connue du public burundais parce que non (ou pas assez) diffusée par les radios pourquoi?
Francis Muhire: Moi même après l’avoir enregistrée, bien avant de l’inscrire à l’East African Music Awards, je ne l’ai pas diffusée aux radios locales. Toutes les fois que j’ai donné mes morceaux à certains radios locales, souvent on les jouait le même jour ou je les leur avait donné. Apres personnes ne les entendait. Puis je m’entendais dire qu’ils ne les jouent pas parce qu’ils ne les entendaient pas dans les boites de nuit. Quand à “Mawe ndagiye”, je m’étonne aussi tout comme vous que les radios ne la joue pas ou ne cherche même pas à l’obtenir.
Adolphe B.: De quoi parle “Mawe Ndagiye”?
Francis Muhire: “Mawe ndagiye” raconte l’histoire d’un jeune homme qui quitte sa campagne natale pour la ville. Au premier couplet, il s’agit de son périple dans le car qui l’amène à Buja, au second couple il est désillusionné par la dure réalité de la vie en ville, mais malgré tout il s’accroche, et il espère même un jour, grâce à Dieu d’arriver aux USA ou au Canada. C’est surement plusieurs personnages différents qui s’expriment dans l’histoire de ce jeune homme.
Adolphe B.: Cette chanson touche un thème peu affronté au Burundi (l’exode rurale out tout simplement l’immigration) et surtout dans un style peu populaire au Burundi (la world music) dans lequel percussions et guitare acoustique font un mariage parfait très proche de l’exotique folklore burundais. Plus d’une simple chanson on dirait une colonne sonore d’un film. On a l’impression de voir ce que vous chantez. Vu que vous êtes aussi cinéaste avez vous le scénario déjà prêt? Est ce réellement une colonne sonore d’un film?
Francis Muhire: Cette chanson pourrait bien être un fond sonore d’un court métrage. Le scenario germe déjà dans ma tête, peut être qu’on aura un court métrage intitulé «Mawe ndagiye» au FESTICAB 2012, mais rien n’est encore sûr. Tout est encore à l’état d’idée.
Adolphe B.:Pourquoi avoir choisi de produire votre musique dans un style peu populaire au Burundi? N’est il pas une des raisons qui entrave la diffusion de votre musique à travers les radios burundaises?
Francis Muhire: Je voudrais vous signaler d’abord que j’ai découvert la musique tout au fond de moi même. Ce n’est pas par un calcul quelconque que je suis venu à la musique ou à l’art en générale. Donc mes créations artistiques partent de ce que je ressent en moi, de ce que je puise dans mon âme, et non de ce que la mode voudrait bien me faire faire. Si des gens peuvent avoir le même goût que moi, et aimer ma musique, tant mieux. Et je crois que c’est pour cette raison qu’il y a plusieurs genres de musique dans le monde. Quant à la popularité d’une musique, des fois elle est du ressort du travail des media et des show-business men que de sa qualité artistique. Le populaire change du temps au temps, selon les saisons et les humeurs du peuple. Un jour peut être ce sera le tour du genre de la musique que je fais d’être populaire. Qui sait? Mais en attendant, je continue à nager contre le courant.
Adolphe B.: Courage, bon voyage, bonne chance et revient nous avec ce prix.
Francis Muhire: Merci beaucoup.
Propos recueillis par Adolphe BIREHANISENGE
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LES NOMINES BURUNDAIS SONT:
– Best Collabo: Kidum feat. Juliana «haturudi nyuma».
– Best male Gospel:
Cedric Bangy «Seigneur».
Uwizeye Willy «Buye ry’igitare».
– Best Afro fusion Male:
Kidum. «Mapenzi».
Muhire Francis: «Mawe ndagiye».
-Best afro fusion female:
Emelance Niwizere. « yambogorera».
-Folk traditional category:
Alfred & Bernard. «igikumi Korotirida».
Pour plus d’info:
http://www.goldendreams.co.ke/emas/
Mawe ndagiye par Francis Muhire: